Derrière le mépris, l’indignité



À une heure où personne n’est devant la télé à part son électorat, Emmanuel Macron prenait la parole le 22 mars à 13 heures. Interrogé par des journalistes moins expérimentés dans l’exercice que certains de leurs collègues, ils ont pourtant excellé dans le passage de plats et le déroulage de tapis rouge. Loin de calmer le feu de la contestation, le Président n’a eu qu’un leitmotiv : nous gardons le cap (vers le mur et en klaxonnant, mais au moins en préservant la cohérence). Analyse.

La réforme des retraites, entre faux dilemme et mensonge

Ah ! Les retraites ! Le camp libéral-conservateur attaquait déjà alors qu’elles venaient d’être instaurées en 1946. Les caisses s’effondraient, alors qu’elles étaient à l’équilibre. Il allait falloir travailler plus longtemps, plus dur, sinon les pensions baisseraient.

En fait non, les caisses ont longtemps été à l’équilibre d’ailleurs elles l’étaient encore l’année dernière, mais on nous expliquera que tout s’écroule. Ce n’est pas non plus comme si les caisses avaient des réserves, justement prévues pour passer une hypothétique tempête, à croire qu’ils ont pensé à tout !

Alors oui la situation change et changera, nous arrivons à une période de transition : moins d’actifs, plus de retraités et certaines caisses sont en déséquilibre. Seulement pas toutes, et pour une période transitoire : la plupart des caisses verront un rééquilibrage naturel de leurs comptes.

Face à cela, le gouvernement apporte une réponse, toujours la même : il va falloir travailler plus longtemps, plus dur, sinon les pensions baisseront ! Macron est un technocrate, un technicien, c’est quelqu’un qui n’aborde un problème que par l’angle de la technique et jamais de la politique. Pour une fois un journaliste a fait une remarque pertinente « et pourquoi ne pas faire contribuer les plus riches ! ». Emmanuel Macron balaye : les retraites reposent sur les cotisations des travailleurs. C’est vrai, et pourtant.

Qu’est-ce qui empêcherait de faire plus contribuer les travailleurs les mieux rémunérés ? Rien. Qu’est-ce qui empêcherait de décréter, collectivement, que les français consacrent via leurs cotisations 15 % de la richesse nationale à l’assurance sociale plutôt que 13 %, ce qui permettrait d’équilibrer les comptes ? Rien. Qu’est-ce qui empêcherait l’État de dire « puisque le système va être en déficit de manière transitoire mais n’est pas structurellement menacé, nous allons mettre les moyens pour passer ce cap » ? Rien. Qu’est-ce qui empêcherait de décréter que le grand patronat contribuera de manière exceptionnelle, par une taxe sur les dividendes qu’il engrange parfois via l’exploitation des travailleurs, à l’équilibrage des comptes ? Rien à part la volonté politique de le faire.

Depuis les ordonnances Jeanneney de 1967 (portées contre l’avis du Général De Gaulle par Georges Pompidou) la caisse unique d’assurance sociale est divisée en plusieurs branches et sort des mains du prolétariat : le grand patronat et ses serviteurs de plus en plus envahissants au sein de l’état ont leur droit de regard. Ils participent à la gestion paritaire des caisses, d’ailleurs de manière totalement déséquilibrée puisque les travailleurs et leurs représentants sont mis en minorité.

Macron le dit lui-même, le système de retraites repose sur les cotisations des travailleurs. Soit, c’est l’argent des travailleurs, alors c’est à eux de le gérer, pas à l’État, pas au patronat. S’ils veulent avoir un droit de regard, qu’ils participent à l’effort supplémentaire qui est demandé.

Cela Macron s’y refuse. Voyons ! Demander à ceux qui profitent déjà du système en place de faire un effort ? Quelle indignité. Poser la question dans des termes purement techniques « allongement de la durée du travail ou baisse des pensions », c’est un choix politique déguisé : celui de favoriser ceux qui le sont déjà bien assez et d’accabler ceux qui le sont déjà bien trop.

Où est la démocratie et où est la violence ?

Emmanuel Macron a aussi eu un mot pour ses troupes policières et politiques. Cependant pas un mot pour leurs victimes, les manifestants violentés et les travailleurs matraqués (ou l’inverse). Nous avons entendu parler de « factieux », d’extrême violence, comme si quelques vitres cassées ou poubelles qui brûlent menaçaient la République. Si c’est le cas alors la République est bien faible.

Pourtant, il y a une violence bien réelle : les images de la répression et des coups portés dans les rues abondent. Heureusement tous les policiers ne se compromettent pas, mais il y en a tant qui peuvent le faire sans sanction, sans même une pauvre condamnation orale, couverts par leurs deux ministres et leur institution.

Il y a une autre violence bien réelle, celle qui a conduit à la mort de 780 travailleurs sur leur lieu de travail l’année dernière, qui en tuera à peu près le même nombre cette année, qui a fabriqué des dizaines de milliers de dépression, de maladies chroniques, de suicides, d’amputations, de fractures.

Qu’est-ce que la violence de quelques agitateurs par rapport à cette violence là contre laquelle le Président n’a pas un mot de compassion ? Comment ne pas avoir le vertige quand on essaye de quantifier les souffrances sur les corps et sur les âmes qu’occasionneront ces réformes ? C’est impossible, à moins de ne pas en avoir soi-même d’âme. Si le relativisme avait un visage ce serait celui-là.

Mais le Président a sa carte maîtresse. La rue serait la violence contre la démocratie, la démocratie que lui et ses parlementaires incarnent. Pour soutenir tout ça il se cache derrière la constitution, celle du Général De Gaulle. Ce serait vrai si la constitution n’avait pas été détruite méthodiquement par de multiples réformes depuis Giscard. Ce serait vrai si chaque modification n’avait pas trahi, à chaque fois avec plus de vulgarité, l’esprit initial de ce chef d’œuvre de philosophie politique.

Emmanuel Macron se targue de la légitimité des élections. C’est vrai, il a été élu. Emmanuel Macron se targue de la légitimité de ses parlementaires. C’est vrai, ils ont été élus. Or, selon le texte qu’il cite lui-même, à savoir la constitution, d’où vient la légitimité ? Elle se transmet par le biais de l’élection mais elle vient bien du peuple. Or, quelle serait la légitimité d’un président, ou d’élus qui s’opposeraient au peuple ? Aucune. Si le peuple est souverain, s’il est l’incarnation de la Nation et la source de la légitimité, alors l’homme qui passe ses lois, surtout de force, contre l’avis et l’intérêt du peuple n’est pas légitime.

Emmanuel Macron est « légal », il n’est pas légitime à moins de considérer que le droit est la source du Vrai et du Juste. Or le droit peut dire le faux et dire le mal car le droit positif n’est que la traduction en norme d’un rapport de force : celui qui contrôle l’état et la force impose le droit. Le gouvernement ne s’est pas embarrassé de la constitution pendant la crise sanitaire par exemple, les constitutions se font et se défont quand c’est nécessaire. Ce gouvernement produit les normes pour servir les intérêts de la classe qui l’a mis au pouvoir : la bourgeoisie.

Nous sommes donc en face d’un homme qui nous explique que la démocratie, à savoir le pouvoir du peuple, c’est lui parce qu’il a été élu par une petite fraction de ce peuple qui défendait ses intérêts de classe, et que la démocratie, à savoir encore une fois le pouvoir du peuple, ce n’est pas le peuple lui-même opposé à sa réforme. Si on peut reconnaître un talent à notre Président, c’est son talent d’équilibriste, sûrement une vocation manquée, mais attention à l’accident du travail.

Comble de l’indignité, le Président invoque l’intérêt supérieur de la Nation pour justifier une loi inutile portée avec une brutalité immorale. Il oublie surement que la Nation c’est lui qui la détruit et attise le feu de la révolte légitime.


Charles Driant.

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