LES VITRAUX DE NOTRE-DAME : RÉFLEXIONS SUR « L’ART CONTEMPORAIN »

 Le 8 décembre, Emmanuel Macron visitait le chantier de reconstruction de la cathédrale parisienne, meurtrie par un terrible incendie qui avait provoqué une émotion mondiale. Lors de cette inspection, le Président de la République a annoncé que les vitraux de six des chapelles de la cathédrale seraient retirés et remplacés par des vitraux contemporains. Immédiatement, et après des mois de polémiques sur le remplacement de la flèche, les boucliers se sont levés. Articles, pétitions, prises de positions publiques, parfois sans nuance se sont multipliés. Pourtant, en sortant des polémiques et des formules, le sujet soulève des questions intéressantes.

Vitraux contemporains Chapelle du séminaire inter diocésain de Nantes


Le patrimoine contre l’art ?

Opposer « art » et « patrimoine » peut paraitre saugrenue aux premiers abords car, instinctivement, on associe ce terme de patrimoine à l’immense héritage architectural, religieux, en oubliant souvent le patrimoine industriel ou agricole, maritime ou immatériel. Surtout en France où nos arts ont pu se déployer dans toute leur originalité, leur raffinement, et constituant un marqueur essentiel de notre identité nationale. Cela explique surement les réactions vives et alarmées quand est lancée la simple évocation d’une modification, d’une évolution, d’un édifice appartenant au patrimoine français. Encore plus quand, apportant plus de détails, un responsable mentionne « l’art contemporain ».

Ces réactions, on peut les comprendre par ailleurs, car les français associent volontiers « art contemporain » avec les croûtes qu’on leur présente à la télévision. Du Piss Christ d’Andres Serrano au plug anal retourné baptisé « Tree » (arbre en anglais) de Paul McCarthy les médias mettent souvent en avant un art contemporain vulgaire et marchand, aux messages faussement progressistes. Derrière cette expression fourre-tout (comme si l’art de 1950 était le même que celui des années 1980 ou de 2023) les français ne voient qu’une chose : le délire subventionné de quelques artistes qui seraient probablement plus utiles ailleurs. Vision au demeurant caricaturale : le bon art contemporain existe, il est simplement peu mis en avant, le public est sous informé sur ces sujets et c’est bien dommage. C’est un autre sujet qui mériterait son article à lui seul.

Revenons à Notre-Dame. Si on prend le temps de s’interroger, il n’est pas si évident de considérer que le patrimoine doit être absolument et en toute circonstance figée pour l’éternité. C’est même une conception récente et originale. Un édifice, parce qu’il est aussi un lieu de vie, de pratiques sociales, n’a pas à priori à être considéré comme un moustique emprisonné dans de la résine d’ambre. En le considérant ainsi on transforme un élément culturel en un simple reliquat d’un vieux monde, qui a disparu aujourd’hui, jusqu’à ce qu’on s’habitue à sa présence puis qu’on finisse par l’ignorer. Beaucoup se désolent à raison de voir des édifices religieux être détruits ou reconvertis en vulgaires hangars (comme la chapelle Saint-Jacques à Bordeaux, transformée en parking et sauvée en 2021). Ces lieux ont pu connaitre ce destin tragique car ils ont cessé d’être des lieux de pratique, de vie, ancrés dans le présent. On les a mis sous vide, oubliés, saccagés. Ce n’est pas le destin de la cathédrale parisienne, justement car elle a su rester dans notre présent, par nos représentations, par l’activité religieuse. Et donc comme elle a ce pied dans le présent qu’est-ce qui nous empêche d’admettre qu’elle peut évoluer, qu’on peut l’enrichir de nouvelles productions ? Pas grand-chose, hormis cette vision purement « patrimoniale ».

Pour la comprendre, il faut faire de l’histoire. Qui sont les deux grands hommes associés à la préservation de notre héritage architectural ? Prosper Mérimée, deuxième inspecteur général des monuments histoires qui a catégorisé et dirigé la stratégie globale de restauration de ces édifices, et Eugène Viollet-le-Duc qui a mis en œuvre beaucoup de ces restaurations. C’est à lui et Jean-Baptiste Antoine Lassus que l’on doit la restauration de Notre-Dame de Paris. Viollet-le-Duc a dessiné sa flèche, et les vitraux que l’on souhaite enlever aujourd’hui sont là de son fait. Aujourd’hui acclamé, il n’en a pas toujours été ainsi, y compris à Paris.

En son temps, l’architecte est conspué par l’école des Beaux-Arts qui considère qu’il saccage les grands sites du pays. Parfois il restaure, parfois il invente, corrige, s’inspire de ce qu’on appellera le néo-gothique. Ainsi des édifices que nous percevons comme figés, n’ayant pas évolué et étant dans leur jus depuis des siècles sont en fait des compositions progressives qui vivent, changent. Les remparts et les portes de la Cité des Papes à Avignon, qu’on associe au XIVème sont en fait reconstruits non pas selon leur apparence historique mais en fonction des représentations que Viollet-le-Duc a de cette époque. La galerie des chimères de Notre-Dame et son célèbre Stryge, emblématiques, cités ou représentées des centaines de fois dans la fiction, n’existaient pas au Moyen-Âge et sortent de l’imagination de l’architecte. Si dans le cas des remparts d’Avignon, le choix de Viollet-le-Duc est surtout dicté par un manque d’informations sur l’état initial des remparts, dans le cas de la cathédrale parisienne il l’est surtout par un discours purement esthétique et politique. Le néo-gothique, style qu’il choisit lors de la restauration du bâtiment, s’inscrit dans un contexte nationaliste (le mot n’est pas utilisé de manière péjorative sous ma plume) où la France comme l’Angleterre revendiquent la paternité du style gothique, et donc se présente comme le berceau artistique de la deuxième moitié du Moyen-Âge.

Nous sommes donc en face de productions artistiques qui n’étaient pas historiques et authentiques. Ces éléments, postérieurs et anachroniques paraissent naturels, à leur place, dans leur jus, aujourd’hui, car nous les avons associés à l’histoire plus longue du bâtiment. Le fait de préserver une relative unité esthétique a permis de faire accepter la présence de ces ajouts, de ces modifications. Et ce n’est rien d’autre que toute l’histoire de l’art : après tout, beaucoup de nos chefs d’œuvres gothiques ont été construits sur des édifices romans. On a vu sortir de terre des extensions, des styles d’époques différentes coexister sur le même site. Quand les édifices romans n’ont pas été détruits pour y construire une nouvelle église. Le sort que l’on fait aux vitraux de Viollet-le-Duc est exactement le même que celui que Viollet-le-Duc a fait aux grands vitraux blancs qui ornaient les chapelles avant. Ils laissaient rentrer la lumière, et son choix de vitraux colorés mais moins lumineux fut parfois critiqué ; on l’accusait alors de rendre la cathédrale trop sombre. Ce qui arrive aujourd’hui et provoque une polémique en provoquait déjà au XIXème pour exactement les mêmes raisons.

La nécessité, réelle, de préserver nos chefs d’œuvres qui tombaient en ruine à cause de l’instabilité politique, des conflits sociaux, des guerres et des priorités budgétaires qu’elles imposaient, de l’exode rural provoqué par la révolution industrielle et des nécessités de reconstruction urbaine ne doit pas nous empêcher de penser le patrimoine autrement aujourd’hui.

 

Macron contre l’art

Cependant, il ne faut pas non plus sombrer dans la naïveté. Si Emmanuel Macron évoque ces vitraux contemporains, la nécessité de laisser une production qui dit quelque chose de nous au XXIème siècle, c’est surtout qu’il voit en Notre-Dame l’occasion de laisser un discours sur ses dix ans de pouvoir. Notre-Dame n’est pas, pour lui, l’occasion d’intégrer la France contemporaine dans l’histoire pluri centenaire de la Cathédrale mais de faire de la reconstruction de l’édifice meurtri le symbole de son prétendu redressement du pays. Au vu de l’état actuel de celui-ci, espérons que le chantier de Notre Dame se passe mieux).

Le concours pour la reconstruction de la flèche a surtout été l’occasion pour des architectes loufoques de faire parler un peu d’eux. Une flèche contemporaine n’aurait pas été un problème en soi, mais beaucoup de propositions brisaient complètement l’unité, la cohérence esthétique du bâtiment. Les pistes d’évolution du parvis, projet lancé en 2016 par François Hollande, condensaient toutes les tares de notre époque : était notamment évoquée la possibilité de faire une immense galerie marchande souterraine surmontée d’une immense verrière à la place du parvis actuel. Fort heureusement ni les élucubrations sur la flèche ni la galerie marchande ne sont au programme.

Ne nous trompons pas, la flèche moderne a été abandonnée par pression de l’opinion publique, des acteurs de la préservation du patrimoine et les associations. Le chef de l’État était clairement en faveur d’une nouvelle flèche pour les raisons évoquées plus haut : il veut marquer cette reconstruction de son empreinte pour rester dans les mémoires, par pure arrogance. Et nous revenons à un point soulevé plus tôt : l’art contemporain qui est mis en avant est l’art contemporain qui vulgaire et marchand, qui génère énormément d’argent, de spéculation.

Nos dirigeants se soucient peu du Beau, et c’est là que réside le danger dans l’affaire des vitraux. Et ce sont ces gens, profondément déracinés, qui se fichent de potentiellement défigurer un édifice millénaire, qui, arbitrairement, vont décider quels vitraux prendront place dans les chapelles ? Ne pourrait-on pas imaginer que dans le cadre d’un concours organisé les différents projets puissent être soumis aux français ? Qu’on recueille leur opinion ou du moins qu’on prenne la température ? Après tout ce n’est pas la cathédrale de l’État, du gouvernement, du ministère de la culture, c’est la cathédrale des Parisiens et des Français. La délibération démocratique peut être appliquée à bien des questions. Quid d’instances représentatives de la population qui pourraient être consultées ? Ou pourquoi ne pas soumettre au public un panel de propositions, qui pourraient recevoir des votes en utilisant, par exemple, les moyens techniques mis en place pour le referendum d’initiative partagée.
Un site internet, la possibilité de voter pour une proposition, en évitant les doubles votes puisque l’utilisateur est identifié via France Connect et les bases de données de l’État. On peut imaginer toute sorte d’options (cet article n’a pas prétention à être un projet concret et détaillé).

Comme beaucoup de français je partage cette inquiétude, mais les arguments invoqués pour contrer toute évolution, tout changement, peuvent s’avérer contre productifs. Nous avons le droit de dire quelque chose sur notre siècle, sur nous, au travers de cette reconstruction. Par contre nous avons le devoir de faire en sorte que ce discours n’altère pas définitivement l’esthétique de ce trésor national qu’est Notre-Dame. A tout prendre, gardons espoir, si ces vitraux sont laids, il sera toujours temps de les enlever et de remettre les anciens, sagement conservés dans un musée.


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