L’Union des droites, autopsie du fiasco zemmourien

 


Emmanuel Macron et Marine Le Pen, comme il était annoncé depuis de longs mois, s’affronteront pour la fonction suprême dimanche prochain. Éric Zemmour lui, un temps crédité de 15 % des intentions de vote et à quelques points de Marine Le Pen, a finalement terminé sa course à 7 %, victime du vote utile mais aussi, nous allons le voir, d’une ligne politique et d’une stratégie électorale défaillantes.

 

Il est incontestable qu’en fin d’année dernière un vent de révolte populiste a soufflé brièvement sur la France : un polémiste, loin d’avoir la notoriété d’un Emmanuel Macron ou d’une Marine Le Pen, parti de 3% se retrouvait à plus de 15 points, talonnant la candidate du Rassemblement National. Internet voyait fleurir des « mèmes » à l’effigie du « Z » (surnom affectueux donné à l’ancien chroniqueur de chez Ruquier), les demandes d’adhésion à « Reconquête ! » affluaient, devenant quelques mois plus tard le premier parti de France en termes d’adhérents, le mouvement de jeunesse « Génération Z » faisait le plein de colleurs et de tracteurs actifs et déterminés.

Or voilà, le dimanche 10 avril c’est la douche froide, Éric Zemmour est loin du score auquel ses partisans, et de nombreux analystes pourtant avisés, l’attendaient. La longue chute amorcée depuis janvier se conclut à 7 % de suffrages, deux fois moins que le plus haut annoncé quelques mois plus tôt. Pour ceux qui croyaient au miracle la désillusion est grande. Si le candidat nationaliste a subi le poids du vote utile de ceux qui avaient peur d’un duel Macron – Mélenchon, les causes de l’échec de la campagne de Zemmour sont plus profondes.

 

Et si la droite faisait de la sociologie ?

Éric Zemmour a opté pour une stratégie qu’il défend depuis déjà des années sur les plateaux de télévision ; lassé de se plaindre que personne ne se l’accapare ; il a décidé de la porter lui-même : l’Union des droites. Théorisée notamment par Patrick Buisson (essayiste et ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy, proche de Zemmour qui l’a poussé à se présenter), il s’agit de mettre fin à la fracture entre la droite dite de gouvernement et la droite national-populiste lepéniste dans le but de réunir une assiette électorale suffisante pour battre la gauche. Sociologiquement, cela se traduit par l’alliance des classes populaires françaises autochtones d’un côté (employés et ouvriers qui votent pour Marine Le Pen), de la « bourgeoisie patriote » (sic) et des petits artisans poujadistes (qui ont fait le succès de Le Pen père à une époque) de l’autre.

Conspuer la sociologie est un des poncifs de la droite radicale, réputée science de gauche voire comme n’étant pas une science. Peut-être aurait-il fallu s’y intéresser et faire de la sociologie électorale. Après la défaite de François Fillon en 2017, les anciens électeurs Les Républicains ne sont pas partis dans l’abstention, ils se sont très majoritairement tournés vers Emmanuel Macron. L’électorat retraité et bourgeois qui faisait autrefois le succès de l’alliance de la droite et du centre-droit s’est tourné vers la grande coalition centriste qui réunit toutes les bourgeoisies de droite comme de gauche : La République En Marche. L’erreur d’Éric Zemmour est d’avoir voulu aller chercher cette bourgeoisie de droite alors qu’elle a trouvé son champion, qui a montré que l’État était prêt à envoyer la troupe pour mutiler, éborgner, tabasser les prolétaires qui voudraient remettre en cause la mainmise de la classe dominante sur le capital, le travail, l’économie, la politique.

Zemmour a donc tenté de conquérir un électorat fantôme : la bourgeoisie « patriote » n’existe pas de facto, puisqu’elle préfère son argent au pays. Le candidat n’a pas compris cela et a tenté, dans le but d’attirer ces électeurs, de défendre un programme socio-économique qui n’a rien à envier à la politique néo-libérale du gouvernement en place. Ce faisant, Eric Zemmour et ses équipes se sont nécessairement coupés de l’électorat populaire martelé par l’inflation post-covid (amplifiée par le conflit russo-ukrainien) qui a vu une dégradation objective de son niveau de vie sous les derniers quinquennats. Au lieu de voter pour l’ancien compère d’Éric Naulleau les classes populaires françaises sont restées là où elles étaient : chez Marine Le Pen (qui profitait encore d’un effet d’inertie du programme Philippot de 2017) ou dans l’abstention. Zemmour voulait faire l’alliance de la bourgeoisie patriote et des classes populaires françaises, il a fait fuir le prolétaire en voulant séduire le bourgeois dont le cœur était ailleurs.

L’intéressé, s’il voulait gagner, aurait dû tirer des leçons des victoires de Donald Trump aux États-Unis et de Boris Johnson en Angleterre : certes, leurs programmes s’attaquaient vivement à l’immigration et à la menace qu’elle pouvait représenter pour leurs pays respectifs, mais ils avaient porté (parfois contre la majorité des élus de leurs partis) des mesures sociales qui ont pu redonner espoir aux classes populaires, aux perdants de la mondialisation : Donald Trump est allé voir les mineurs des anciens états du Sud, leur promettant aides, investissements, emplois ; il s’est adressé aux anciens travailleurs de l’industrie qu’Hillary Clinton qualifiait de « pitoyables ». Boris Johnson incarne en Grande-Bretagne une tendance qu’on appellerait « Red Tory » au Canada, un conservatisme marqué sur les questions de société mais une ouverture au progressisme social (d’ailleurs, la Grande Bretagne a vu une augmentation importante des salaires depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Johnson, une reconstruction des services publics et la liquidation progressive de l’héritage de Thatcher). Ces deux-là n’ont pas gagné parce qu’ils étaient opposés à l’immigration, ils ont gagné parce qu’ils ont su parler aux classes populaires de tout ce qu’il leur faisait peur.

 

Dépression identitaire

Si Patrick Buisson fut une inspiration pour le candidat classé à l’extrême-droite, on ne peut pas s’empêcher de voir un Enoch Powell quand on suit de près les interventions d’Éric Zemmour. Ce conservateur britannique prononçait en 1968 le discours des « fleuves de sang » qui annonçait l’apocalypse migratoire : « Dans ce pays, dans 15 à 20 ans, les noirs domineront les blancs […] Nous devons être fous, littéralement fous à lier, en tant que nation […] J’ai l’impression de regarder ce pays élever frénétiquement son propre bûcher funéraire ».

S’il est moins radical sur la forme, Éric Zemmour utilise les mêmes ressorts : la peur et la réaffirmation de l’identité non pas en tant que telle mais en tant qu’opposition à un autre modèle, une autre civilisation. Finalement, Éric Zemmour nous dit peut-être ce que nous avons été et ce que nous devons être (des individus qui vibrent, et nous aurions raison, autant pour l’épopée de Jeanne d’Arc que pour la Révolution Française) mais il ne nous dit pas ce que nous allons devenir. Alors que La France Insoumise propose aux français un prométhéisme de gauche (qu’on peut ne pas approuver) Zemmour donne l’impression d’enfermer la France dans un folklore (qui quand il n’y a que lui est l’attribut des cultures mortes, ne vit que ce qui est en mouvement sans pour autant trahir ou effacer sa réalité antérieure), et de ne parler que du passé, pas des moyens que nous allons employer pour reconstruire une positivité, une communauté de destin : une Nation. Les Français, surtout dans cette période déprimante ont besoin d’espoir et de confiance, pas qu’on leur fasse du chantage au remplacement.

En se concentrant sur les problèmes liés à ce qui est perçu comme une invasion musulmane Éric Zemmour a oublié de se pencher sur un sujet plus sérieux et structurant :  la fracture sociale, politique, idéologique au sein de la population française. Certes, le fait que des dizaines de milliers d’immigrés et descendants d’immigrés ne s’assimilent pas est un problème, le fait qu’une part non négligeable de la population « autochtone » ne se vive pas comme française, et même ne rate pas une occasion pour cracher sur la Patrie (voire caresser des fantasmes fédéralistes ou mondialistes) en est un autre, et est bien plus grave.

Toute la droite nationale prend les choses par la fin : quel étranger voudra s’assimiler si les autochtones lui expliquent que la France est un pays détestable ? Raciste ? Misogyne ? Islamophobe ? Génocidaire ? Ou qu’il n’y a pas de culture à laquelle s’assimiler comme le prétendait l’actuel occupant (sic) de l’Élysée. Tant que notre peuple n’aura pas retrouvé espoir, tant que les Français ne voudront pas vivre ensemble, tant que les Français ne voudront pas construire leur destin commun en tant que peuple le problème migratoire ne pourra pas être réglé.

 

Ethos et pathos zemmouriens

Outre le carcan sociologique dans lequel le candidat malheureux s’est enfermé en suivant la ligne de l’Union des droites, Éric Zemmour s’est emprisonné dans son image d’éditorialiste sulfureux. Faire une campagne monomaniaque sur les immigrés musulmans comporte un risque politique majeur : que l’immigration passe au second plan dans les préoccupations des Français. Or les conséquences économiques ; et particulièrement l’inflation post-covid ; amplifiées par la guerre en Ukraine ont couronné le pouvoir d’achat comme préoccupation principale du peuple. Zemmour s’est lui-même collé dans le dos l’étiquette du polémiste qui explique tout fait social, économique ou politique par l’immigration de masse (au point de s’approcher du ridicule quand il fait une comparaison étrange entre le vert d’Europe Écologie Les Verts et le vert de l’Islam).
Ainsi il n’est plus perçu que comme celui qui élargit la fenêtre d’Overton sur les questions migratoires mais souffre d’un défaut de crédibilité sur les questions socio-économiques qui restent centrales.

Aussi, d’un point de vue purement cynique, il aurait été de bon ton d’éviter des séquences où Zemmour confirme les propos misogynes et méprisants qu’il a pu tenir il y a quelques années sur les femmes à la télévision ou dans ses divers ouvrages. Ces attitudes méprisantes contribuent à expliquer la surreprésentation des hommes que l'on observe parmi les électeurs de Zemmour (61% de l'ensemble). Pouvait-on vraiment attendre que les électrices, qui composent pourtant la moitié du corps électoral, s'enthousiasment pour ce candidat ?

Enfin, il faut le dire, et c’est pourtant un des points sur lequel il était très attendu par ses soutiens, le bretteur avait une lame émoussée. Peut-être que la fatigue d’une première campagne a fait perdre du tranchant à son arme oratoire, mais on l’a vu en difficulté à plusieurs reprises chez Cyril Hanouna face à Jean-Luc Mélenchon ou même face à une Valérie Pécresse qui n’est pourtant pas réputée pour son talent d’oratrice (c’est peu dire).

Alors qu’une Marine Le Pen a axé sa stratégie sur une image consensuelle de femme d’État, Zemmour a tenté une stratégie clivante de rupture d’une droite qui s’assume pleinement. Le résultat est connu.

 

Mais alors, que faire ?

Maintenant que nous avons pu entrevoir les causes de l’échec d’Éric Zemmour, qu’est-ce que ceux qui ont à cœur la justice sociale, la souveraineté de la nation et notre survie en tant que peuple peuvent tirer de tout cela ? Comment et avec quel programme un candidat dit populiste pourra-t-il arriver au pouvoir ? La réponse n’est pas dans l’union des droites vous l’aurez compris mais dans l’union des classes populaires patriotes, de droite et de gauche et d’ailleurs, seul bloc sociologique suffisant pour battre la bourgeoisie centriste européiste. Où se trouvent-elles ces classes populaires ? Chez Marine Le Pen, dans une moindre mesure chez Jean-Luc Mélenchon (quoi que peut en dire la droite radicale, il y a des patriotes qui votent Mélenchon, tout simplement ils le font pour son programme social et pas son programme migratoire) et dans l’abstention.

Le seul moyen de réunir ces électorats, et c’est de toute manière nécessaire outre l’argument de la stratégie électorale, c’est de porter un programme social (voire socialiste) ambitieux incluant la hausse de la rémunération des travailleurs, l’amélioration des conditions de travail, la préservation des droits sociaux voire l’acquisition de nouveaux droits, voire poser les questions de la propriété des moyens de production par la participation des travailleurs aux bénéfices et à la décision dans les entreprises dans lesquelles ils travaillent. La réforme sociale est le catalyseur pour former une grande coalition populaire.

L’immigration agissant comme armée de réserve pour la bourgeoisie, il faudra critiquer l’immigration en tant que phénomène social et économique, plutôt que s’attaquer aux immigrés eux-mêmes (il n’est pas juste de s’attaquer à des malheureux que la prédation économique occidentale et les guerres ont jeté sous nos ponts, mais plutôt à ceux qui ont créé les conditions qui ont fait qu’ils aient eu à partir, et ceux qui les exploitent chez nous, au détriment des Français comme des migrants). Seule cette ligne sera capable de coaliser les classes populaires de droite qui votent FN (par la critique de l’immigration et les mesures sociales) et les classes populaires de gauche qui votent Mélenchon (par les mesures sociales en ne les effrayant pas sur l’immigration), et de faire sortir suffisamment d’électeurs de l’abstention en leur proposant une réforme radicale du système en place.

Il faudra se poser la question de la faisabilité du programme, qui amènera à se poser celle de l’appartenance à l’Union Européenne et du recouvrement de notre capacité à agir, la souveraineté pouvant aussi servir de catalyseur entre cette droite et cette gauche populiste (pour la droite en soulignant le fait que les traités de fonctionnement de l’Union Européenne et les décrets du parlement nous obligent à accueillir les gens qui se jettent à nos frontières, pour la gauche en soulignant le fait que l’UE porte des politiques néo-libérales en faveur de la bourgeoisie et de la grande finance). Aux mauvaises langues qui diraient que le souverainisme conduit à faire 2 % aux présidentielles (score de Nicolas Dupont-Aignan, seul candidat qui a eu le courage de défendre le referendum sur l’appartenance à l’Union Européenne aux présidentielles de 2022), nous rappellerons que Marine Le Pen en a fait 21 en 2017 avec un programme qui incluait la sortie de l’UE et de l’euro (programme Philippot, rendons lui les honneurs qui lui sont dus) et a atteint le second tour malgré son défaut de crédibilité et toutes les attaques qu’elle a pu subir. Nous rappellerons aussi opportunément que l’alliance des fractions souverainistes de la droite comme de la gauche, motivant le citoyen à aller dans des réunions d’information traité et Stabilo à la main, a permis de remporter le référendum sur la constitution européenne en 2005. Le fait de reprendre en main notre destin n’est donc pas tant un repoussoir que cela ; à nous de le saisir !

Commentaires

  1. À vomir
    Je ne voterait pas pour le socialisme, qui a déjà tant de mal à la France. Point
    Et vous retranscrivez la stratégie Le Pen, qui a échoué, vous ne proposez rien de nouveau en somme

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    1. Votez pour ce que vous voulez et qui vous voulez, ce n'est pas le propos de l'article. Le propos est que c'est la seule stratégie qui est susceptible de faire advenir un pouvoir populiste et national car pour atteindre la victoire il faut s'appuyer sur deux blocs sociologiques différents: la droite national-populiste de Le Pen, la fraction de l'électorat Mélenchon qui n'est pas anti-nationale ET arriver à faire sortir une partie des abstentionnistes de l'abstention ce qui ne se fera qu'avec un programme social radical.

      Sur le socialisme qui a déjà (fait, vous avez oublié le mot) tant de mal à la France, j'ignorais qu'à part lors de la Commune il y eu socialisation des moyens de production par les travailleurs. Le France n'est pas socialiste (ne confondez pas social démocratie et socialisme). Marine Le Pen n'est pas socialiste, elle a un programme qu'on pourrait qualifier de national-populiste vaguement teinté de mesures sociales, ça reste de la mesurette et de l'ajustement (ce qui est mieux que rien mais loin d'un programme socialiste ou même social démocrate)

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